XXVI
En somme, on s’installe dans le malheur et quelquefois on se dit qu’on n’y est pas si mal que ça, après tout. Fumons donc une cigarette, tandis que l’idiot de la radio parle d’une importante déclaration d’un important chef d’Etat. L’idiot savoure cette déclaration, s’en délecte et la suce. Ce que ça peut m’être égal, leurs importantes déclarations. Ces futurs morts si dynamiques, c’est comique.
Quand ma chatte, cette faible d’esprit, me regarde avidement, avec un fixe étonnement, cherchant à comprendre, si intéressée, oui, c’est ma mère qui me regarde. Deviendrais-je étrange par cette mort que j’admets sans cesse, les yeux au ciel de nuit où une pâle ronde morte luit, bénigne et maternelle? Depuis sa mort, j’aime vivre seul, parfois, pendant des jours et des jours, loin des vivants absurdement occupés, seul comme elle était seule dans son appartement de Marseille, seul et le téléphone décroché pour que le dehors n’entre pas chez moi comme il n’entrait pas chez elle, seul dans cette demeure qui a la perfection de la mort et où je fais sans cesse de l’ordre pour croire que tout va bien, seul dans ma chambre délicieusement fermée à clef, trop rangée et trop propre, folle de symétrie, crayons allongés par ordre de grandeur sur le petit cimetière luisant de la table.
Assis devant cette table, je fais la conversation avec elle. Je lui demande si je dois mettre mon pardessus pour sortir. « Oui, mon chéri, c’est plus sûr. » Mais ce n’est que moi qui radote, imitant son accent. J’aimerais l’avoir près de moi, assise et embaumée, dans sa robe de soie noire. Si je lui parlais longtemps, avec patience, la regardant beaucoup, peut- être que soudain ses yeux revivraient un peu, par pitié, par amour maternel. Je sais bien que ce n’est pas vrai et pourtant cette idée me hante.